CHAPITRE 3 - SECTION 3

CHAPITRE 3 - VALIDITÉ - SECTION 3: ILLICÉITÉ

1)  La violation d’une règle impérative d’origine nationale, internationale ou supranationale qui s’applique en vertu de l’article 1.4 produit sur le contrat les effets que ladite règle a pu prescrire expressément.

2)  Lorsque la règle impérative ne prescrit pas expressément les effets de sa violation sur le contrat, les parties peuvent exercer les moyens fondés sur l’inexécution du contrat qui sont raisonnables dans les circonstances.

3)  Pour déterminer ce qui est raisonnable, il sera tenu compte, notamment:

a) du but de la règle violée;

b) de la catégorie de personnes que la règle entend protéger;

c) de toute sanction qui pourrait être imposée en vertu de la règle violée;

d) de la gravité de la violation;

e) du fait que la violation était connue ou aurait dû être connue de l’une des parties ou des deux;

f) du fait que l’exécution du contrat requiert la violation; et

g) des attentes raisonnables des parties.

COMMENTAIRE

1. Portée de la Section

En dépit de son importance fondamentale (voir l’article 1.1), la liberté contractuelle en vertu des Principes n’est pas illimitée. Les parties doivent conclure le contrat sans qu’il soit entaché par l’erreur et la contrainte et, en outre, le contrat ne doit pas violer les règles impératives applicables. Tandis que les vices du consentement sont traités dans la Section 2 de ce Chapitre, la présente Section traite de la situation où un contrat viole des règles impératives, du fait de ses clauses, de son exécution, de son but ou d’une autre façon. Plus précisément, la présente Section traite des effets sur le contrat de la violation en énonçant les critères à appliquer pour déterminer si, malgré la violation, les parties restent autorisées à exercer des moyens et, dans l’affirmative, s’il s’agit de moyens fondés sur l’inexécution du contrat (article 3.3.1) ou de la restitution (article 3.3.2).

2. Seules sont pertinentes les règles impératives applicables en vertu de l’article 1.4

Aux fins de la présente Section, seules sont pertinentes les règles impératives d’origine nationale, internationale ou supranationale, qui sont applicables en vertu de l’article 1.4 (voir les Commentaires 1 et 2 sur l’article 1.4). En d’autres termes, cette Section ne concerne que le cas où un contrat viole des règles impératives, qu’il s’agisse de dispositions légales particulières ou de principes généraux d’ordre public non écrits, qui sont applicables selon les règles pertinentes du droit international privé. Les règles impératives considérées applicables à un cas d’espèce particulier dépendront du tribunal saisi, selon qu’il s’agit d’un tribunal judiciaire ou d’un tribunal arbitral, et de la question de savoir si la référence par les parties aux Principes est considérée comme une simple incorporation de ceux-ci dans le contrat ou bien si les Principes sont appliqués comme loi régissant le contrat (voir les Commentaires 3, 4 et 5 sur l’article 1.4). On notera que les Illustrations ci-dessous ne soulèvent pas ces questions, et admettent l’hypothèse que les règles impératives visées s’appliquent dans les situations illustrées.

3. Façons dont un contrat peut violer des règles impératives

En tout premier lieu, un contrat peut violer des règles impératives par ses clauses mêmes. Ainsi que le montrent les Illustrations ci-après en matière de corruption et d’ententes de soumissions, les règles impératives peuvent être des dispositions légales spécifiques ou des principes généraux non écrits d’ordre public.

Illustrations

1. L’entrepreneur A du pays X conclut un contrat avec le représentant B (“le Contrat de commission”) en vertu duquel B, en contrepartie d’une rétribution de 1.000.000 USD, versera 10.000.000 USD à C, conseiller de haut rang pour les marchés publics de D, Ministre de l’économie et du développement du pays Y, afin d’inciter D à attribuer à A le contrat de construction d’une nouvelle centrale électrique dans le pays Y (“le Contrat”). Dans les deux pays X et Y, la corruption de fonctionnaires publics est prohibée par la loi. Le Contrat de commission viole la prohibition légale en question par ses clauses. Pour ce qui est du Contrat de construction de la centrale électrique, voir l’Illustration 7.

2. L’entrepreneur A du pays X conclut un contrat avec le représentant B (“le Contrat de commission”) prévoyant un paiement de 100.000 EUR à C, cadre supérieur de la société D dans le pays Y, afin d’inciter D à attribuer à A le contrat d’installation d’un système complexe de technologie de l’information. Ni le pays X ni le pays Y ne prohibent par une loi la corruption dans le secteur privé mais, dans les deux pays, elle est considérée contraire à l’ordre public. Le Contrat de commission viole ces principes d’ordre public par ses clauses.

3. Les soumissionnaires A et B des pays X et Y respectivement concluent un contrat (“l’Entente de soumission”) prévoyant que, dans une série d’appels d’offres de marchés publics pour des contrats de construction dans le pays Z, ils s’entendront de telle façon que A obtiendra certains contrats et B les autres. Des dispositions légales dans le pays Z prohibent les ententes de soumissions pour les marchés publics. L’Entente de soumission viole la prohibition légale en question par ses clauses.

4. Les soumissionnaires A et B des pays X et Y respectivement concluent un contrat (“l’Entente de soumission”) prévoyant que, dans une série d’appels d’offres de marchés publics pour des contrats de construction dans le pays Z, ils s’entendront de telle façon que A obtiendra certains contrats et B les autres. Dans le pays Z, il n’y pas de disposition légale prohibant les ententes de soumissions pour les marchés publics, mais un tel accord est considéré contraire à l’ordre public. L’Entente de soumission viole le principe d’ordre public en question par ses clauses.

En outre, un contrat peut violer des règles impératives par son exécution.

Illustrations

5. A, un grand détaillant dans le pays X, conclut un contrat avec B, un fabricant dans le pays Y, pour la fabrication de jouets selon ses indications (“le Contrat de fabrication”). A savait ou aurait dû savoir que les jouets commandés seraient fabriqués par des enfants. Dans le pays X comme dans le pays Y le travail des enfants est considéré contraire à l’ordre public. Le Contrat de fabrication viole ces principes d’ordre public par son exécution.

 

6. L’importateur A du pays X conclut un contrat avec l’exportateur B du pays Y pour une livraison de matériel. Après la conclusion du contrat, les Nations Unies imposent un embargo sur l’importation de ce type de matériel dans le pays X. Toutefois B livre le matériel, en violation de l’embargo. Le contrat entre A et B viole l’embargo par son exécution.

Enfin, un contrat peut aussi violer des règles impératives d’autres façons, par exemple par la façon dont il est formé ou par son but.

Illustrations

7. Les faits sont les mêmes que ceux de l’Illustration 1 mais ici B paie à C le pot-de-vin de 10.000.000 USD et D attribue le Contrat à A. Le Contrat viole la loi prohibant la corruption par la façon dont il a été formé.

8. A, un fabricant d’explosifs situé dans le pays X, conclut un contrat avec B, une société de commerce située dans le pays Y, pour la fourniture de grandes quantités de semtex, produit utilisé à des fins pacifiques ainsi que pour la fabrication de bombes (“le Contrat de fourniture”). A savait ou aurait dû savoir que B ferait finalement parvenir les marchandises à une organisation terroriste. Le Contrat de fourniture viole par son but le principe fondamental d’ordre public prohibant le soutien d’activités terroristes.

4. Effets de la violation expressément prescrits par la règle impérative violée

Parfois, la règle impérative prescrit elle-même expressément les moyens fondés sur l’inexécution du contrat ou bien les droits à restitution que peuvent éventuellement exercer les parties en cas de violation de la règle. Ainsi par exemple, l’article 101(2) du Traité de l’Union européenne (ancien article 85(2) du Traité de Rome) déclare expressément que les accords entre entreprises qui ont pour effet de fausser le jeu de la concurrence entre les Etats membres de l’Union européenne, prohibés en vertu de l’article 101(1), sont “nuls de plein droit”. Pour sa part, la Convention d’UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés prévoit que “[u]n Etat contractant peut demander […] le retour d’un bien culturel illicitement exporté du territoire de l’Etat requérant” (article 5) et que “[l]e possesseur d’un bien culturel qui a acquis ce bien […] illicitement exporté a droit […] au paiement par l’Etat requérant d’une indemnité équitable, sous réserve que le possesseur n’ait pas su ou dû raisonnablement savoir, au moment de l’acquisition, que le bien avait été illicitement exporté” (article 6).

 

5. Effets de la violation déterminés selon ce qui est raisonnable dans les circonstances

 

Si la règle impérative ne prescrit pas expressément les effets de sa violation à l’égard du contrat, le paragraphe 2 prévoit que les parties peuvent exercer “les moyens fondés sur l’inexécution du contrat qui sont raisonnables dans les circonstances”. Cette formule est suffisamment large pour permettre la plus grande souplesse. Ainsi, malgré la violation de la règle impérative, une partie – ou les deux parties – pourra, selon les circonstances de l’espèce, exercer les moyens ordinaires disponibles en cas d’inexécution d’un contrat valable (y compris le droit à l’exécution), ou tout autre moyen tel que le droit de traiter le contrat comme étant sans effet, l’adaptation du contrat ou sa résolution selon des conditions à déterminer. Ce dernier type de moyen peut être particulièrement approprié lorsque, par suite de la violation, seulement une partie du contrat est devenue inefficace. En ce qui concerne l’octroi de la restitution des prestations exécutées en vertu d’un contrat qui viole une règle impérative, voir l’article 3.3.2.

6. Critères pour déterminer ce qui est raisonnable dans les circonstances

Etant donné la grande diversité des règles impératives qui pourraient être pertinentes dans le contexte de cet article, depuis les règles de nature purement technique jusqu’à des prohibitions visant à empêcher des atteintes graves à la société, le paragraphe 3 énonce une liste de critères pour déterminer les moyens contractuels qui pourront éventuellement être ouverts selon les circonstances. La liste n’est pas exhaustive. Dans de nombreux cas, il y aura plus d’un critère pertinent et la décision devra impliquer une évaluation globale de ces critères.

a. Le but de la règle violée

Au nombre des principaux facteurs à prendre en considération se trouve le but de la règle impérative, et si sa réalisation se trouverait ou non compromise si l’on permettait au moins à l’une des parties d’exercer un moyen fondé sur l’inexécution du contrat.

Illustrations

9. Les faits sont les mêmes que ceux de l’Illustration 1 mais ici, bien que B ait payé à C le pot-de-vin de A, D n’attribue pas le Contrat à A. Etant donné qu’il irait à l’encontre du but poursuivi par la loi prohibant la corruption de permettre à A et à B d’exercer l’un quelconque des moyens fondés sur l’inexécution du Contrat de commission, B ne peut pas demander à A le paiement de la rétribution de 1.000.000 USD, et A ne peut pas obtenir de B le remboursement des 10.000.000 USD que B a versés à C.

10. A, constructeur aéronautique dans le pays X, sachant que C, Ministère de la défense dans le pays Y, a l’intention d’acquérir un certain nombre d’avions militaires, conclut un contrat avec B, société de consultants située dans le pays Y, par lequel B négociera l’achat éventuel par C du matériel fabriqué par A (“le Contrat de représentation”). Une disposition légale du pays Y prohibe d’employer des intermédiaires pour la négociation et la conclusion de contrats passés par des entités gouvernementales. Etant donné que la prohibition légale de recourir à des intermédiaires a pour but de combattre la corruption, ni A ni B ne doivent pouvoir exercer les moyens fondés sur l’inexécution du Contrat de représentation.

11. Les faits sont les mêmes que ceux de l’Illustration 6. Etant donné que le but de l’embargo est d’imposer une sanction au pays X par suite de la violation par X du droit international, la réalisation de ce but exige que tous les contrats conclus ou exécutés en violation de l’embargo soient privés d’effet et que les parties ne puissent exercer aucun des moyens fondés sur l’inexécution de ces contrats.

b. La catégorie de personnes à protéger par la règle violée

Un autre facteur important à prendre en considération est celui de savoir si la règle impérative qui est violée vise à protéger les intérêts du public en général, ou bien ceux d’une catégorie particulière de personnes. Les exigences en matière d’autorisations sont souvent de ce dernier type, c’est-à-dire qu’elles sont imposées par la loi à des personnes qui exercent certaines activités pour la protection de leurs usagers ou clients. Si un contrat est conclu par une partie dépourvue d’autorisation, il pourrait être raisonnable d’accorder à l’usager ou au client au moins certains des moyens fondés sur l’inexécution du contrat tels que des dommages-intérêts.

Illustration

12. La société A dans le pays X conclut un contrat avec l’ingénieur B dans le pays Y en vue de la réalisation de plans pour la réfection de l’usine de A (“le Contrat d’ingénierie”). Une disposition légale du pays X prévoit que seuls les ingénieurs agréés peuvent exercer une telle activité. B, qui n’a pas l’agrément requis, remet des plans qui sont en partie fondés sur des calculs erronés, ce qui cause un retard dans les travaux de réfection. Alors que A lui demande de payer des dommages-intérêts pour le préjudice causé par le retard, B refuse de payer au motif que le Contrat d’ingénierie était invalide parce que B n’avait pas l’agrément requis. Etant donné que le but de l’exigence de l’agrément est la protection des clients, A peut invoquer son droit à des dommages-intérêts.

c. La sanction qui pourrait être imposée en vertu de la règle violée

Les dispositions légales qui prohibent certaines activités ou qui leur imposent des restrictions assortissent souvent leur violation de sanctions pénales ou administratives. Ainsi que le note le Commentaire 4, lorsque de telles dispositions énoncent expressément la conséquence de la violation sur les droits ou moyens fondés sur le contrat, leurs prescriptions s’appliquent. En revanche, lorsqu’elles ne disent rien des effets de la violation sur le contrat, l’existence et la nature des sanctions pénales ou administratives pourront fournir des indications importantes concernant le but poursuivi par la règle qui a été violée, la catégorie de personnes que la règle vise à protéger, ou la gravité de la violation. En conséquence, l’existence et la nature de ces sanctions devront être prises en considération pour déterminer l’effet d’une telle violation sur les droits et moyens fondés sur le contrat.

Illustration

13. A, exportateur dans le pays X, conclut un contrat de transport avec B, propriétaire de navire dans le pays Y, pour transporter des marchandises par mer du pays X au pays Y (“le Contrat”). Une disposition légale du pays X impose des limites à la charge que les navires peuvent transporter. Elle prescrit une amende en cas de violation mais elle ne dit rien des effets d’une telle violation sur le contrat de transport lui-même. B dépasse la charge autorisée sur le navire et A, invoquant l’invalidité du Contrat, refuse de payer le fret bien que les marchandises soient arrivées à destination. Etant donné que le but de la disposition légale n’est pas d’interdire le contrat mais de prévenir la surcharge dans l’intérêt de l’équipage et du navire et que ce but est suffisamment atteint par l’amende imposée à B, B conserve le droit de recevoir le fret convenu pour le transport des marchandises.

d. La gravité de la violation

Un autre facteur à prendre en considération est la gravité de la violation. Ainsi, les moyens fondés sur l’inexécution du contrat pourront être exercés lorsque la règle impérative est d’une nature purement technique et que sa violation n’a pas d’effet sur le cocontractant.

Illustrations

14. Un éleveur A dans le pays X vend du bétail à un éleveur B dans le pays Y. Des dispositions légales dans le pays Y exigent que le bétail importé soit marqué et que les informations apparaissant sur les marques soient également reportées sur les documents d’accompagnement. Le bétail livré est convenablement marqué mais les documents d’accompagnement sont incomplets. A peut néanmoins avoir droit au paiement du prix.

15. A, exportateur dans le pays X, conclut un contrat avec B, transporteur dans le pays Y, pour le transport de marchandises dangereuses du pays X au pays Y (“le Contrat”). Une disposition légale du pays X prévoit que les marchandises du type concerné doivent être transportées dans des véhicules répondant à des normes de sécurité particulières. Elle prescrit une sanction pénale en cas de violation mais ne dit rien des effets d’une telle violation sur le contrat de transport lui-même. B transporte les marchandises sur un véhicule qui n’est pas conforme aux normes de sécurité prescrites.  A, invoquant l’invalidité du Contrat, refuse de payer le fret bien que les marchandises soient arrivées à destination. Etant donné que le but de la disposition légale est de prévenir les dommages aux tiers ou à l’environnement, B, indépendamment de la sanction pénale, ne doit pas avoir le droit de recevoir le fret convenu.

e. Le fait que la violation était connue ou aurait dû être connue de l’une des parties ou des deux

 

L’exercice des moyens fondés sur l’inexécution du contrat peut aussi dépendre de la question de savoir si la règle impérative ou sa violation étaient connues ou auraient dû être connues de l’une des parties ou même des deux.

Illustrations

16. Les faits sont les mêmes que ceux de l’Illustration 1 mais ici B a payé le pot-de-vin à C; D, qui n’avait pas connaissance et n’aurait pas dû avoir connaissance du paiement du pot-de-vin à C, attribue le Contrat à A. Si D prend connaissance par la suite du paiement du pot-de-vin, il peut décider de considérer le Contrat valable ou non. Si D décide que le Contrat est valable, A sera obligé d’exécuter et D devra payer le prix, en procédant à un ajustement approprié tenant compte du versement du pot-de-vin. Si par contre D considère que le contrat est sans effet, aucune des parties ne peut exercer les moyens fondés sur l’inexécution du contrat. Ceci, sans préjudice de l’exercice éventuel d’un droit à restitution.

 

17. L’entrepreneur A du pays X négocie avec D, Ministre de l’économie et du développement du pays Y, en vue de conclure un contrat portant sur un grand projet d’infrastructure (“le Contrat”). D demande le paiement d’une “commission” de 7,5% du prix du contrat pour conclure le Contrat. A paie la “commission” demandée et le Contrat est conclu. Alors que A a déjà exécuté la moitié de ses obligations en vertu du Contrat, un nouveau Gouvernement arrive au pouvoir dans le pays Y et le nouveau Ministre de l’économie et du développement, invoquant le paiement de la “commission”, annule le projet et refuse de payer les travaux déjà exécutés. A ne peut exercer aucun des moyens fondés sur l’inexécution du contrat. Ceci, sans préjudice de l’exercice éventuel d’un droit à restitution.

f. Le fait que l’exécution du contrat requiert la violation

Un autre facteur qui doit être pris en considération est le fait que l’exécution du contrat requiert la violation. Ainsi, si de par ses clauses mêmes, le contrat prévoit, ou même suppose de façon seulement implicite, la violation d’une disposition légale, il pourra être raisonnable de n’accorder aux parties aucun des moyens fondés sur l’inexécution du contrat.

Illustration

18. La société A dans le pays X conclut un contrat avec la société B du pays Y pour la construction d’une usine de production d’engrais chimiques dans le pays Y (“le Contrat”). Le contrat ne prévoit pas l’installation des dispositifs de sécurité requis par les lois de protection de l’environnement du pays Y et les parties conviennent délibérément d’un prix qui serait insuffisant pour couvrir les coûts d’installation des dispositifs en question. Ni A ni B ne peuvent exercer les moyens fondés sur l’inexécution du contrat.

g. Les attentes raisonnables des parties

Lorsque, en raison de la différence de culture juridique ou commerciale, l’une des parties ne pouvait pas raisonnablement avoir connaissance de la violation ou, comme c’est le plus souvent le cas, lorsque l’une des parties crée une attente légitime concernant la validité du contrat ou de ses clauses et invoque par la suite une prohibition légale en vertu du droit de son propre pays pour s’opposer à cette attente, il pourrait être raisonnable d’accorder à l’autre partie la possibilité d’exercer les moyens fondés sur l’inexécution du contrat ou sur les clauses de celui-ci.

Illustration

19. La société A dans le pays X conclut un contrat avec B, Ministre de l’économie et du développement du pays Y, concernant un projet d’investissement dans le pays Y (“le Contrat”). Le Contrat contient une clause prévoyant que tous les différends nés du contrat devront être résolus par voie d’arbitrage dans le pays Z conformément au Règlement d’arbitrage de la CNUDCI. Si un différend survient par la suite et A engage une procédure d’arbitrage, B pour se soustraire à l’arbitrage ne peut pas invoquer une règle impérative du pays Y selon laquelle, pour les différends portant sur des contrats tels que celui en cause, les tribunaux étatiques du pays Y ont compétence exclusive qui ne peut être exclue par les parties par une clause compromissoire.

h. Autres critères

Outre les critères énumérés au paragraphe 3 de cet article, d’autres critères peuvent être pris en considération pour déterminer les moyens qui peuvent éventuellement être exercés dans les circonstances. L’un de ces critères est la mesure dans laquelle le contrat viole la règle impérative. Si le contrat viole la règle impérative seulement en partie, il peut être raisonnable d’adapter le contrat et de permettre aux parties d’exercer les moyens fondés sur celui-ci.

Illustration

20. Les faits sont les mêmes que ceux de l’Illustration 5 mais ici seul un type particulier de jouets commandés par A est fabriqué par des enfants chez eux, tandis que tous les autres types de jouets sont produits par des travailleurs légalement employés par B dans son usine. Dans les circonstances, il peut être raisonnable d’adapter le Contrat en conséquence et d’accorder aux parties les moyens ordinaires fondés sur le Contrat de fabrication adapté.

Un autre facteur est le retrait en temps utile de l’opération concernée. Ainsi, si une partie à un contrat qui viole une règle impérative revient sur son action avant que le but illicite du contrat ait été réalisé, cette partie peut se voir reconnaître le droit à recouvrer ce qu’elle a exécuté.

Illustration

21. Les faits sont les mêmes que ceux de l’Illustration 1 mais ici, après que A ait payé à B la rétribution convenue de 1.000.000 USD, et avant toutefois que B ait versé à C le pot-de-vin de 10.000.000 USD, A décide de ne plus poursuivre le but illicite et se retire du contrat. A peut avoir le droit d’obtenir de B le remboursement de la rétribution versée.

1) Lorsqu’un contrat violant une règle impérative au sens de l’article 3.3.1 a été exécuté, la restitution peut être permise si cela est raisonnable dans les circonstances.

2) Pour déterminer ce qui est raisonnable, il sera tenu compte, avec les adaptations nécessaires, des critères visés au paragraphe 3 de l’article 3.3.1.

3) Si la restitution est permise, les règles énoncées à l’article 3.2.15 s’appliquent avec les adaptations nécessaires.

COMMENTAIRE

1. Restitution permise s’agissant d’un contrat violant une règle impérative lorsque cela est raisonnable dans les circonstances

Même lorsque, du fait de la violation d’une règle impérative, les parties ne peuvent pas exercer les moyens fondés sur l’inexécution du contrat, il faut examiner si elles peuvent au moins demander la restitution des prestations exécutées en vertu du contrat. Conformément à l’article 3.3.1(1), la réponse dépendra tout d’abord de la règle impérative elle-même, selon qu’elle traite ou non expressément la question (voir aussi le Commentaire 4 à l’article 3.3.1).

Si la règle impérative violée est silencieuse sur ce point, cet article, suivant en cela la tendance moderne, adopte une approche souple et prévoit que lorsqu’un contrat violant une règle impérative a été exécuté, la restitution peut être permise si cela est raisonnable dans les circonstances (paragraphe 1). En d’autres termes, contrairement à la conception traditionnelle selon laquelle les parties – au moins lorsqu’elles avaient toutes deux connaissance ou auraient dû avoir connaissance de la violation de la règle impérative – devraient être laissées dans la situation dans laquelle elles se trouvent et ne devraient pas être autorisées à recouvrer les prestations fournies, en vertu des Principes, la restitution pourra être ou non permise selon ce qui est le plus approprié en l’espèce: permettre au bénéficiaire de la prestation de conserver ce qu’il a reçu, ou bien permettre à celui qui a exécuté de réclamer ce qu’il a fourni.

2. Critères pour déterminer s’il est raisonnable de permettre la restitution

Les mêmes critères que ceux de l’article 3.3.1(3) visant à déterminer si des moyens fondés sur le contrat peuvent être exercés dans les circonstances s’appliquent pour déterminer s’il est raisonnable de permettre la restitution en vertu du paragraphe 1 de cet article. Toutefois, étant donné que les moyens fondés sur l’inexécution du contrat et les droits à restitution sont différents, les mêmes critères pourraient bien mener à des résultats différents alors que les faits seraient identiques.

Illustrations

1. Les faits sont les mêmes que ceux de l’Illustration 1 du Commentaire sur l’article 3.3.1 mais ici A, à qui a été attribué le Contrat, a presque achevé la construction de la centrale électrique lorsque, dans le pays Y, un nouveau Gouvernement au pouvoir invoque l’invalidité du Contrat pour cause de corruption, et refuse de payer les 50% restants du prix. Dans les circonstances, il ne serait pas équitable de permettre à D d’obtenir la centrale électrique presque achevée pour la moitié du prix convenu. A pourra avoir droit à une indemnité en argent pour les travaux effectués correspondant à la valeur que la centrale électrique presque achevée a pour D, et D pourrait obtenir la restitution de tout paiement qu’il aurait fait en sus de cette valeur.

2. L’entrepreneur A du pays X négocie avec D, Ministre de l’économie et du développement du pays Y, en vue de conclure un contrat portant sur un grand projet d’infrastructure (“le Contrat”). D demande le paiement d’une “commission” de 7,5% du prix du projet pour conclure le Contrat. A paie la “commission” demandée et le Contrat est conclu. Alors que A a déjà exécuté la totalité de ses obligations en vertu du Contrat, un nouveau Gouvernement arrive au pouvoir dans le pays Y et le nouveau Ministre de l’économie et du développement, invoquant le paiement de la “commission”, refuse de payer le restant du prix du Contrat. A peut obtenir une somme d’argent pour les travaux exécutés correspondant à la valeur du projet d’infrastructure.

3. Les faits sont les mêmes que ceux de l’Illustration 15 du Commentaire sur l’article 3.3.1 mais ici, compte tenu que les marchandises sont bien arrivées à destination, B demande paiement au moins de la valeur de ses services. Dans les circonstances, c’est-à-dire compte tenu de la gravité de la violation et de la nécessité d’empêcher par tous moyens le transport de marchandises dangereuses par des véhicules qui ne satisfont pas aux normes de sécurité, B pourrait ne pas même avoir droit au paiement de ses services.

3. Règles régissant la restitution si celle-ci est permise

Si la restitution est permise en vertu de cet article, elle est régie par les règles énoncées à l’article 3.2.15 sur la restitution dans le contexte de l’annulation. Toutefois, ces règles demandent à être adaptées, en ce sens que dans l’article 3.2.15(1), la référence à l’annulation doit être comprise comme une référence au cas où le contrat est privé d’effet par suite de la violation d’une règle impérative, et la référence à l’annulation d’une partie du contrat, comme une référence au cas où seulement une partie du contrat est privée d’effet par suite de la violation d’une règle impérative. Pour des explications plus détaillées sur les règles en matière de restitution visées dans cet article, voir le Commentaire sur l’article 3.2.15.